dimanche 31 mai 2009

Cette crise qui nous ronge

   

 

CETTE CRISE QUI NOUS RONGE

 

Par MAHI  AHMED (Dr.Ing.) 

 

La crise qui frappe sérieusement notre pays depuis plus d’une décennie perdure et ébranle dangereusement l’existence de notre Etat et de notre Nation. Les forces sociales et surtout politiques en présence, dans notre pays , apparaissent comme désarmées et désorientées devant la forme, l’étendue , la profondeur et la complexité de cette crise. Elles donnent l’impression, par leur action ou inaction, de discerner  à la surface  les causes qui l’ont enclenchée et transformée  en  ce tourbillon dévastateur à grande échelle et destructeur ,  à la longue, des racines fondatrices de notre société , de notre Etat et de notre Nation , c’est à dire de notre existence en tant qu’algériens, dignes continuateurs et héritiers de notre glorieux mouvement de libération nationale .Il est vital que prenne forme  le nécessaire sursaut salvateur  à partir  de tout ce qui est encore sain ,  rationnel et intégrateur en nous pour peu que nous sachions en prendre conscience et prendre conscience de la force qu’il peut représenter pour sortir avec succès de cette crise.

Une crise politique et sociale relève , en général,  du mouvement  de la vie des sociétés et des nations. Elle apparaît ,selon les formes qu’elle prend tout au long de l’évolution historique , ,comme une période décisive ou périlleuse  de cette vie. Une crise peut donc être dépassée pour peu que sa nature réelle soit  reconnue à sa juste mesure et dans toute son étendue par  les forces sociales et politiques en présence et soucieuses de l’avenir du pays. 

Il ne s’agit donc pas de se lamenter sur la crise que nous vivons et de signaler les formes de ses symptômes  mais d’en reconnaître les causes profondes et immédiates et surtout d’œuvrer à éveiller et raffermir les consciences et à rassembler le maximum de forces capables de dresser les contours d’une vision de projet de société de long terme permettant de tracer avec intelligence et réalisme les voies  pour en sortir. Une telle vision doit être puisée de notre histoire commune , de notre expérience partagée et diverse dans la construction de l’Etat et de la Nation depuis l’indépendance de même que de l’histoire et l’expérience universelles. Une telle vision doit surtout relever du génie de notre nation mue  par la rigueur du savoir et par  la profondeur de la culture de ses élites et de ses couches sociales les plus larges , par la mobilisation de l’intelligence et de la créativité , par le nécessaire réalisme et non par l’esprit de suffisance ambiant et si dévastateur.

Cette crise multidimensionnelle nous ronge déjà jusqu’à l’os et  l’écrasante majorité des algériens la ressent aussi dans son quotidien , dans sa chair et son sang. Nous risquons , si nous n’y prenons pas garde , et nous sommes à l’extrême limite du supportable , de nous transformer en autant de forces centrifuges emballant encore davantage le chaos qui caractérise actuellement notre pays.

Nous assistons , ces derniers temps , à l’approche d’ échéances électorales dites majeures  , à un formidable détournement, opéré d’une façon consciente ou inconsciente, des véritables problèmes que pose notre crise nationale . C’est comme si ces échéances électorales dites majeures pouvaient contribuer à la sortie de la crise alors qu’elles  sont une des nombreuses causes et manifestations de cette dernière .

Des appels divers , souvent à consonance lyrique et morale, rarement objectifs et concrets , sont lancés au fil de la montée en puissance des affrontements se déroulant au sein de notre société. Ces affrontements sont loin  de traduire, ni l’état réel de notre société , des problèmes liés aux différents rapports qui la régissent, ni surtout  ses besoins immédiats et de long terme et particulièrement du type d’Etat auquel aspire les forces sociales qui la composent.

Nous semblons faire comme si nous étions une société à part , détachée de son environnement international et des lignes de forces lourdes qui déterminent l’évolution de ce dernier et qui ont une  incidence décisive sur nôtre devenir.

Pourtant nous vivons, à l’échelle du monde, et chaque jour qui passe nous le montre avec force, des temps d’une très grande signification historique. Des événements et des évolutions d’une portée historique de long terme ont marqué fortement la dernière décennie du vingtième siècle. Ils continuent d’imprimer de leurs marques avec une accélération renforcée le millénaire qui commence . Nous assistons , défaits , impuissants et passifs à une recomposition globale des rapports de forces mondiaux, impulsés et modulés aujourd’hui  au gré des évolutions, par la superpuissance militaire , économique , politique et culturelle des USA dominée présentement par l’idéologie du néo-conservatisme . Nous subissons la fougueuse action des dynamiques de la mondialisation qui , détournées par l’action éhontée du capital spéculatif international et par les théories économiques néo-libérales , mettent l’économie mondiale en réseaux sévèrement contrôlés par un nombre toujours plus réduit de multinationales géantes  dont la structure et la répartition spatiale sont fonctions de leurs stratégies de long termes et de l’évolution de leurs avantages concurrentiels respectifs. Nous observons les coups féroces qui sont assénés à l’Etat nation  et à ses capacités de régulation ,sous couvert de l’ouverture et de valeurs universelles devant être partagées , notamment par des organisations multilatérales sous contrôle comme la BIRD , Le FMI, L’OMC etc. , . Nous observons amèrement au niveau des pays, des régions et du monde, la montée vertigineuse des inégalités ,du chômage de masse , de l’exclusion à grande échelle , de l’analphabétisme , des pandémies et de fléaux globaux de toutes sortes. Nous suivons, depuis le 11 septembre 2001 et l’émergence à une échelle globale des guerres asymétriques et des guerres préventives illustrées notamment par les attaques suicides du World – Trade - Center de New York  et par les guerres D’Afghanistan et d’Irak , la mise en œuvre d’une doctrine hégémonique de l’actuelle administration américaine visant à régenter le monde sous le modèle d’un empire de la post-modernité . Nous voyons poindre , se former et se raffermir les signes de développement de l’homme nouveau globalisé et individualiste et d’une culture et d’une civilisation fondée sur les valeurs néo-libérales  et sur le modèle de consommation de l’ « American Way of Life »  , ravageant sur leur passage et  avec leur ancrage les cultures et les identités nationales. Nous vivons dans un monde en ébullition historique annonciatrice de mouvements tectoniques de grande ampleur et de métamorphoses considérables des structures géopolitiques, géostratégiques et des formes de civilisations et de cultures.

Réfléchir sur la crise que connaît actuellement l’Algérie, nécessite , de ce fait , la prise en compte des tendances d’évolution historiques signifiantes , nationales et internationales , pour mieux saisir la densité et la complexité des dynamiques agissantes du passé et pouvoir doter d’une pondération réaliste les voies susceptibles d’ouvrir des perspectives capables d’intégrer avec efficience l’Algérie dans les challenges du 21é siècle.

Essayer de comprendre une crise aussi intégrale que celle que connaît l‘Algérie, dans le sens où elle est à la fois politique, économique, sociale, culturelle et identitaire, impose , en effet , d’interroger l’histoire dans son mouvement profond et actuel et de dégager les éléments montrant les racines profondes des évolutions que nous continuons de subir et que nous semblons incapables d’infléchir dans le bon sens de l’histoire. Or celle-ci  ne peut être que celle que dessineront les hommes et les femmes d’aujourd’hui et surtout de demain.

 

A )  De quelques racines de la crise:

 

La crise algérienne n’a pas commencée avec l’arrêt du processus électoral le 26 janvier 1992. Cette crise trouve ses racines réelles  dans l’histoire profonde de notre pays. Mais le mûrissement de l’éclatement de cette crise s’est réalisé par la conjugaison de facteurs internes et externes liés aux choix et aux moyens qui ont présidé à la construction de notre Etat et au développement de notre société après l’indépendance du pays.

Beaucoup a été écrit et dit sur cette crise. Des « spécialistes » et «  des experts  »  de l’Algérie ont émergé soudain de partout. Les approches développées sont aussi diverses que la complexité de cette crise et des intérêts qui s’affrontent dans et autour de notre pays.

Analyser cette crise et tenter l’essai d’avancer des pistes  pour en sortir , exige un recul dépassionné, des approches réalistes fondées sur une perception maîtrisée des lignes de forces qui caractérisent les évolutions dans la durée. Cela suppose un effort qui s’appuie sur des apports multidisciplinaires.

Il n’est pas inutiles de rappeler que les crises qui ont marqué notre après-indépendance, comme celles de juillet 1962 , de 1963 , 1965 , 1967 , 1980 et 1988 posaient certes , en termes aigus, des problèmes démocratiques ,sociaux et de pouvoir sans en donner toutefois une claire définition et une claire stratégie de mise en oeuvre. Elles ne remettaient jamais en cause clairement l’option pour un Etat national et républicain, bien que les concepts d’Etat et de république demeuraient ,en général à tous les niveaux , largement flous .

L’islamisme politique, catalyseur de la crise que nous vivons actuellement, pose , lui , en termes francs la remise en cause d’un tel Etat et son remplacement par un Etat islamiste de nature théocratique. L’émergence frontale de l’islamisme politique d’aujourd’hui ,et dans notre pays, est un phénomène politique totalitaire plus que religieux .Il tente  d’exploiter jusqu’à l’extrême, à des fins de pouvoir , le développement des exacerbations sociales et politiques qui atteignent , dans notre société,  des points de ruptures forts avec le système de pouvoir en place depuis l’indépendance. Il dévoie une aspiration profonde et de masse , diversement manifestée , à l’expression et à la pratique démocratiques.

On ne peut pas affirmer que l’Etat-nation républicain en construction depuis la guerre de libération nationale, répond totalement aux aspirations de la nation et aux normes de la République. Il représentait un choix qui a semblé, prés de trois décennies durant, procéder d’un consensus national .Il semblait être porté par le mouvement de libération national.

Il serait aussi utile de rappeler que les événements d’octobre 1988, sans parler de leurs soubassements politiques et sociaux qui sont majeurs, ont éclatés quand les capacités financières du pays ont été dangereusement malmenés par la spéculation sur le dollar et la manipulation géostratégique des prix des hydrocarbures, alors que la dette extérieure du pays et son service augmentaient à la limite du supportable et quand le pouvoir en place a démontré son incapacité à prévenir, à gérer et à résoudre les problèmes politiques, économiques sociaux et culturels qui prenaient forme.

Ces rappels ont été faits pour dire que l’analyse de la signification de l’ampleur du mouvement de masses mobilisé par et autour de l’islamisme politique après les évènements d’octobre 1988 et à la faveur de l’ouverture  « démocratique » opérée par la constitution du 23 février 1989 dépasse la réalité de l’émergence et de la cristallisation de l’islamisme politique.

Le caractère des formes violentes qu’a pris cette crise, sa durée, l’exacerbation des problèmes économiques et sociaux, la naissance difficile de véritables élites , de la citoyenneté et d’un mouvement démocratique puissant et pluriel de même que d’une société civile avertie, les difficultés qu’éprouve le pouvoir actuel à prendre l’initiative des changements radicaux nécessaires dans les fondements et la forme de notre Etat et à engager les transformations radicales politiques , économiques , sociales et culturelles qu’impose la portée d’une telle crise, sont autant d’éléments qui poussent à aller au plus profond des racines de cette crise. Il est nécessaire d’interroger l’ensemble de notre cheminement historique, les processus de formation de notre nation, de notre Etat et du développement de notre société.

L’histoire actuelle, suite à l’effondrement de l’URSS et des pays socialistes et aux répercussions sociales et culturelles de la révolution informationnelle et de la dynamique de la globalisation, nous montre amèrement comment les liens sociaux, culturels et même nationaux, pourtant considérés comme solidement portés par la conscience sociale , peuvent se distendre, se casser et déboucher même sur des tragédies de nature ethniques ou autres (ex:Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Russie , l’Afghanistan , le Congo , la côte d’ivoire , le Burundi , l’Iraq etc.)

Le terrorisme et la violence ne procèdent pas de la génération spontanée. Ils découlent de dynamiques exacerbées d’instabilité sociale, culturelle et psychosociologique. Ils expriment aussi des distorsions aggravées , longtemps socialement contenues , dans les processus de formation identitaire de caractère national. Les formes qu’ils prennent aujourd’hui, s’ils sont l’œuvre d’une instrumentation idéologique et politique de l’islamisme politique et de mécanismes divers d’intérêts intérieurs et extérieurs, ne peuvent cacher, malgré leur atrocité, les problèmes  de fond qu’ils posent. La compréhension de la crise ne peut être limitée à leur examen à la surface aussi minutieux qu’il puisse être .

Les premières questions qui doivent être posées, nous semble-t-il , en cassant à ce sujet les tabous, et auxquelles on doit tenter de donner réponse, semblent être  les suivantes:

1.      qu’en est-il de la nation algérienne au lendemain de l’indépendance?

2.      qu’en est-il du processus de construction de l’Etat national indépendant?

3.      Qu’en est-il du développement de notre société au cours de ces  décennies d’indépendance?

Le processus de formation de la nation algérienne obéit à un long cours. Les cohésions communautaires et d’intégration nationale se sont tissées au travers d’actions multiples de puissances étatiques diverses. Elles se sont opérées autour de l’histoire millénaire commune, de la culture berbère et principalement de la culture arabo- musulmane traditionnelle, de la préservation des langues parlées notamment l’arabe dialectal et le berbère. Ces cohésions se sont affermies dans la large et longue résistance à l’occupation coloniale française et ont subi l’influence de cette dernière. Il n’est pas possible et nécessaire, dans le cadre de cette réflexion, d’essayer de suivre et d’analyser le processus de formation et de développement de notre nation. Il serait par contre utile de dégager, au travers du cheminement historique, les processus qui ont entravé une telle formation ou qui lui ont imprimé certaines distorsions ou orientations particulières. « Pour comprendre le présent , il faut le situer par rapport à son origine  » . Cette origine ne peut être que l’intégration complexe de tous les facteurs à pondération lourde et durable du cheminement historique.

Trois processus historiques qui marquent fortement ,par leurs conséquences et  leurs empreintes  notre réalité d’aujourd’hui et qui en éclairent les causes profondes, peuvent être ainsi sommairement examinés :

 

I ) L’oppression  coloniale

 

On ne mesurera jamais assez la profondeur et la portée de l’action destructrice de la colonisation française sur notre peuple. Celle-ci  a été concentrée sur les facteurs vitaux de la formation de notre nation que sont l’unité historique, linguistique, culturelle et économique. Cette colonisation a déstructurée complètement l’Algérie et son peuple : oppression systématique, déplacement forcé de populations, spoliations de celles-ci de leurs terres, destructions des cadres sociaux traditionnels, sabordage ciblé de la langue et de la culture arabo - musulmane , de la langue berbère  et des traditions , divisions sociales et développement de la misère , analphabétisme organisé etc. Même la foi religieuse musulmane a été férocement et sournoisement attaquée par cette volonté de destruction de masse de la colonisation. Alexis Tocqueville disait en 1851:“Nous avons rendus la société musulmane beaucoup plus ignorante qu’elle n’était avant de nous connaître.“

L’analyse intégrée, sociologique , psychosociologique , anthropologique ,politique , économique, sociale et culturelle de la colonisation française reste encore à faire, particulièrement en ce qui concerne ses incidences sur les processus d’évolution post-indépendance de l’Algérie comme nation, Etat et société.

Le sabordage par la colonisation française de la langue courante de la grande masse du peuple algérien, l’arabe, dans sa forme écrite et parlée, la déstructuration de la personnalité et de l’identité algériennes par les coups violents et insidieux portés à l’existence et au développement de la culture arabo - musulmane dominante et de la culture berbère ancestrale , c’est à dire aux racines de notre évolution nationale, ont nourri dans la conscience sociale la colère , la violence et la radicalité d’un mouvement populaire  frontal et prenant des formes diverses face à l’occupant et développé des dynamiques multiples et diverses de résistance. Il faut entendre par radicalité cette exacerbation psychosociale et politique touchant de larges couches sociales et faisant mûrir et éclater  la contradiction principale les opposant aux forces dominantes (ici peuple algérien versus colonialisme ) , en bravant la rationalité des situations , des moyens et des perspectives historiques.

Les processus continus de formation et de consolidation de la nation algérienne ont été aussi mus et fortifiés par cette radicalité psychosociale et politique , attisée en permanence par l’idéologie et les pratiques coloniales oppressives . Ces processus ont consolidé et cristallisé la conscience sociale d’une unité  historique , linguistique,  culturelle et du territoire d’une même  communauté soumise au joug de l’oppresseur. Le développement d’une telle radicalité représentait, de fait, un mouvement de progrès dessinant déjà les processus de maturation et d’organisation de la lutte pour la libération nationale .

 

II ) Le mouvement national

 

Le mouvement national algérien moderne,  dans son développement historique ne pouvait s’inscrire, dans le feu des luttes politiques et révolutionnaires qu’il a menées face à l’occupant,  dans la légalité coloniale et se devait de recourir à l’action révolutionnaire. Il s’est appuyé, pour cela, sur les dispositions à la révolte radicale contre l’occupant qui se sont développées dans une population algérienne, égale dans une pauvreté croissante, analphabète à plus de 90% , foncièrement rurale et stagnant dans l’archaïsme. Les forces politiques algériennes nées à l’ombre de la légalité et sous les feux de la répression coloniales , n’ont pas pu ,en dépit de leurs trajectoires spécifiques ,de leurs divergences ainsi que de leurs limites idéologiques et politiques  et des crises majeures vécues face aux multiples épreuves et machinations de la colonisation , édifier avec succès ,le front démocratique de libération nationale dont avait besoin le peuple algérien. Elles n’ont pu ,tout au long de leur action , développer une véritable culture de l’union plurielle  , de l’unité d’action  , mue par l’engagement patriotique qui devait les caractériser , ni à faire  face unies, avec un sens aiguë de l’union patriotique, à  la radicalité de l’oppression coloniale ou à maîtriser en profondeur  la radicalité gagnant en ampleur et en sens historique de la société algérienne ,pour mieux mettre en valeur ,avec la vision du long terme tous les potentiels qu’elle recelait.

C’est dans une telle dynamique historique d’oppression coloniale et  de développement de l’aspiration à la libération nationale que s’est affermie  la nation algérienne.

Mais un tel affermissement, au niveau de la conscience de l’unité historique, de l’appartenance à un territoire commun, d’une évolution économique et sociale partagée, s’est fait avec des valeurs linguistiques , culturelles  et identitaires stagnantes. Ces dernières n’ont pas été radicalement intégrées ,au niveau de leur homogénéisation et de leur adaptation historique dans le caractère moderne de la dynamique de libération nationale et encore moins mis en rapport avec les nécessités qu’imposait une vision moderne de l’avenir.

Les dispositions à la révolte radicale qui se développaient au sein de notre peuple ont été, dans leurs ressorts positifs de résistance à l’occupant et de libération nationale, instrumentées ,consciemment ou inconsciemment , d’une part par une compréhension limitée et étroite de la politique et de la stratégie politique et d’autre part par un populisme radical et hégémonique dominant dans les directions successives du mouvement nationaliste . La politique se rattache , en principe , à la vision de l’organisation et de l’exercice du pouvoir dans une cité déterminée . La politique traite les réalités du présent tout en construisant , par la vision qui la porte , les conditions de l’avenir . La politique du mouvement national a été toute tendue vers l’objectif central de la lutte pour la libération du joug colonial . Cet objectif central  était juste et imposé par le contexte de la colonisation et de la guerre de libération nationale . Relever aujourd’hui , dans l’analyse historique , un tel populisme ou les faiblesses des orientations du mouvement nationaliste , ne peut signifier en aucune manière , une sous-estimation ou une dévalorisation de l’action anti-coloniale multiforme du mouvement nationaliste ,ni encore plus l’importance historique de ce mouvement et des dirigeants et militants , fils du peuple, qui lui ont donné naissance et mené jusqu’à la libération de notre pays.  cela représente seulement un effort critique pour essayer de comprendre, aux racines, les causes des courbes marquées de crises multiples de notre trajectoire historique. Analyser ce populisme en profondeur et avec réalisme , c’est à dire en tenant le plus grand compte de la complexité  des contextes, peut permettre , avec le recul d’aujourd’hui et l’expérience lourde vécue , de cerner avec une bonne dose d’objectivité, les distorsions aggravées enregistrées dans les processus d’affermissement de nôtre nation et de construction de nôtre Etat républicain.

Le propre du populisme est l’absence de vision stratégique cohérente et d’objectifs à long terme de transformation et de développement de la société, c’est à dire aussi de l’Etat et de la nation, dans le sens de la liberté , de la pratique démocratique , du progrès continu et de la modernité. Le populisme mythifie le peuple et le considère comme une entité politique homogène devant être dirigée par un parti et une pensée uniques. Le populisme craint le savoir et l’intelligence , et la vivacité de la pensée qu’il étouffe, opprime et réprime. Un tel populisme qui a caractérisé notamment la pratique politique du pouvoir en place et de l’appareil dirigeant du FLN après l’indépendance, a été continuellement adapté aux représentations symboliques  de nature archaïque et aux perceptions idéologiques fondées sur une  perception figée de l’Islam de la grande masse du peuple algérien. Le pouvoir et l’appareil dirigeant du FLN n’ont pas cherché à agir avec conséquence  pour contribuer à faire profondément évoluer, dans la liberté de l’action, ces représentations et ces perceptions idéologiques dominantes. Il se sont satisfaits, pour ainsi dire, de cette situation. Pour maintenir l’exercice du pouvoir, il ont eu recours à la coercition , à la répression de tout mouvement d’opposition à ligne officielle  et aux équilibres claniques et régionalistes qu’ils ont défaits et refaits au fil des évolutions des rapports de forces. Le populisme ne pouvait et ne peut  être source ni de progrès ni de modernité. Il tirait la société vers l’arrière. Il actionnait l’archaïsme de la société  en agissant avec démagogie , impulsé par une idéologie conservatrice,  sur ses vecteurs subjectifs et  psychosociologiques que sont l’attachement à la langue arabe, à la culture traditionnelle et à l’islam. L’hégémonie populiste ne pouvait libérer le potentiel libérateur porté par la résistance à l’occupant et le transformer en moteur de la construction d’une nation moderne, démocratique fondée sur le travail et aspirant avec conscience au progrès le plus général. La pensée unique nourrit l’autoritarisme et réprime toute velléité démocratique . Elle caporalise et déprave tout mouvement social. Il n’est pas dans notre intention , dans le cadre de cette contribution , d’illustrer l’expression et la pratique de cette pensée unique et d’un tel populisme au cours de ces décennies d’indépendance sous et dans le système de pouvoir en place. Sa marque a imprégné et  imprègne encore douloureusement tous les pans de notre développement économique , social , culturel et politique .

 

III) Les choix qui ont déterminé notre développement depuis l’indépendance

 

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie comptait 10 millions d’habitants. C’était une terre marquée par huit années d‘une guerre totale. C’était une société désarticulée géographiquement et structurellement :

Ø  par les déplacements imposés par la colonisation dans des camps de regroupement,

Ø  par une masse importante de réfugiés rentrés de Tunisie ,du Maroc et d’ailleurs,

Ø  par les maquis et toute l’organisation mise en place par la lutte de libération nationale,

Ø  par les espaces physiques , économiques , sociaux et culturels évacués par les colons et la population pieds-noirs, etc.

C’était un pays dont l’organisation étatique hybride reposait sur le fond d’organisation étatique légué par la colonisation et sur la superstructure politico-militaire du FLN-ALN et du GPRA reflétant le rapport de forces dominant. Le problème de la nature de l’Etat s’est posé dés le début avec une grande acuité. Rares étaient ceux qui, comme Abane Ramdane , Larbi Ben M’hidi dans le feu de la guerre de libération nationale ou Ahmed Medeghri au lendemain de l’indépendance , essayaient d’aborder en profondeur la problématique de l’Etat algérien indépendant.

 

III .1) la problématique de l’Etat

 

Une nation et un mouvement de libération national  sortis des ténèbres coloniales avec d’immenses espérances, avaient besoin, dans une telle situation, de l’édification d’un Etat moderne fort et d’un pouvoir visionnaire s’appuyant sur tous les ressorts vivants et porteurs de progrès de la société et requérant sans cesse leur légitimation. L’Etat devenant, ainsi , la personnification de la Nation dont il assure les évolutions intégrantes  tirées par la rationalité ,  l’universalité , la modernité et le progrès.

Les tenants des rênes du pouvoir, déjà avant l’indépendance  ont semblé, dans leur compréhension des choses , confondre l’édification de l’Etat national adapté aux conditions de l’époque et à leurs dynamiques d’évolution avec l’édification d’une administration nationale au service de leur logique de quadrillage autoritaire et répressif de la société. Les inflexions dans ce sens  ont commencé à émerger à la surface et à prendre de formes signifiantes et lourdes de conséquences historiques après le congrès de la Soummam et  au cours des processus engagés pour la mise en œuvre de ses décisions dont la plus importante est celle , certes complexe dans un contexte de guerre de libération nationale , se rapportant aux rapports entre le politique et le militaire. L’histoire de l’organisation politico-militaire ,  du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) , du Gouvernement Provisoire de La République Algérienne (GPRA ) , de l’Etat-Major Général (EMG) et de l’armée des frontières entre autres méritent d’être étudiée , analysée et rapportée à ses incidences dans les rapports de forces qui ont fait éclater le congrès de Tripoli à la veille de l’indépendance et donner la forme de système de pouvoir qui à régi notre pays depuis l’indépendance et qui donner forme au type d’Etat autoritaire qui n’a pas changé d’essence depuis.

La mise en place de l’Etat algérien indépendant s’est largement et longuement appuyée sur les structures léguées par le colonialisme. Elle s’est inspirée du modèle français  en ce qui concerne les structures administratives et les fondements législatifs qui « ne heurtent pas la souveraineté nationale » . Elle ne procédait pas d’une volonté de rupture radicale avec les symboliques et les représentations archaïques ambiantes. Elle ne pouvait découler aussi d’une dynamique d’intégration nationale et de fécondation culturelle procédant de la rationalité et traversant toute la société.

La modernisation d’une société par son Etat ne peut être qu’un processus, certes complexe et long, de rationalisation systématique, délibéré et conséquent découlant d’une vision et d’un sens des perspectives historiques modernes du pays. Un tel processus ne peut être initié et conduit, dans son cheminement, que par de véritables bâtisseurs d’Etat appuyés et légitimés en permanence par toutes les composantes du peuple. De tels bâtisseurs d’Etat existaient certes dans le mouvement national et ne pouvaient qu’être le reflet de la nation en mouvement .Ils étaient cependant réprimés par les visions populistes et hégémoniques dominantes .

La symbolique de la modernisation a été manipulée et dévoyée dans nôtre pays. Une démarche conséquente de construction de l’Etat moderne dont avait besoin un pays comme le nôtre aurait supposé, par exemple, une prise en main vigoureuse et appropriée, dans leurs orientations et dans leur traitement, des problèmes et des solutions des questions linguistiques, culturelles et religieuses.

L’édification de l’Etat doit être intimement liée à la validation de la nation et à sa projection dans les champs des  perspectives historiques de cette dernière en agissant sur les facteurs objectifs et subjectifs que véhicule le passé et en définissant et mettant en oeuvre les stratégies politiques, économiques, sociales et culturelles capables de moduler favorablement les valeurs dominantes dans le sens de la rationalité et de l’universalité. C’est ainsi que  se créent et se forgent l’identité nationale, les repères et les symboliques de progrès qui s’intègrent dans le cheminement historique de la nation et le forge en même temps.

Une telle démarche doit reposer sur des politiques économiques, d’éducation et culturelles qui valorisent le travail, rationalisent et sécularisent les rapports sociaux et conscientisent la liberté. L’édification de l’Etat véritablement national suppose l’existence et le respect de la liberté individuelle et collective de même que de la pratique démocratique.

C’est ainsi que l’Etat, par l’action visionnaire du pouvoir qui le dirige, l’anime et le module, construit la nation , met en mouvement les flux objectifs et subjectifs qui doivent l’irriguer pour lui donner la vie, assurer son avancée dans le sens des perspectives historiques tout en veillant à assurer en permanence sa stabilité. La stabilité de la nation ne peut être statique. Elle est dynamique comme la vie des différentes forces sociales qui la composent et de leurs rapports de même que des environnements dans lesquels elle baigne. Une telle stabilité relève des fonctions de régulation de l’Etat.

Les faits montrent à l’évidence que l’Etat algérien actuel est le produit de démarches hétérogènes. Celles-ci portent la marque d’un volontarisme actionné par un autoritarisme populiste livrant les ressorts essentiels du développement de l’Etat, de la nation et de la société aux impératifs de l’exercice du pouvoir et des équilibres de types régionalistes, claniques, familiaux et  parfois de caractère „mafieux“  assurant sa pérennité.

Notre Etat n’a pas changé de caractère , quant au fond , depuis l’indépendance, et ce malgré les colmatages et saupoudrages présentés , au fil des décennies , comme devant fonder et renforcer la démocratie et le pluralisme. La représentativité  « populaire » locale , régionale ou nationale ou même au niveau des corporations les plus diverses ou des associations à caractère sociales ou culturelle , procède , chez nous , majoritairement de l’illusion.

 

III.2) Les choix de développement

 

Il est vrai que les 25 années qui ont suivi l’indépendance étaient fortement influencées par les expériences des pays socialistes et les théories tiers-mondistes. Le développement économique mis en oeuvre s’en est pratiquement mécaniquement inspiré. Déclarant l’Etat entrepreneur général, l’Algérie a été engagée  , dés la fin des années 60 et particulièrement au cours de la décennie 70, dans une grande épopée de construction de plate-formes  industrielles et d’infrastructures, de projets de formation etc. . Une telle épopée visait, selon ses initiateurs, deux objectifs :

 

a)      le développement et l’intégration de la base économique , sociale et culturelle du pays,

b)      le développement du marché intérieur.

 

Cette action  a fait agir principalement deux facteurs:

 

a)      les richesses en devises disponibles ou potentielles générées par les hydrocarbures ,

b)      le savoir-faire étranger (projets clés en main, projets produits en main etc.).

C’est durant cette période que les meilleurs performances  économiques ont été enregistrées :

 

Ø  croissance rapide du produit réel de 7% l’an en moyenne

Ø  croissance de la consommation réelle par habitant de 4,5% l’an

Ø  réduction du taux de chômage qui passe de 32,7% en 1966 à 22,3% en 1977

Ø  la part du secteur public dans le PIB est passée de 34,07% en 1969 à 65,42% en 1978.

Ø  La consommation des ménages ,elle, s’est multipliée (à prix courants) par quatre passant de 12.0411 à 47.802 millions de dinars.

Ø  L’investissement total, en prix courants ,a été multiplié par 15 de 1969 à 1978.Il a parfois représenté plus de 50% de la PIB.Le taux d’investissement moyen de la période était de 45,71%.

Mais de tels résultats ,positifs et encourageants, relevaient , en quelque sorte , d’une démarche administrative de dépense, pour ainsi dire sèche, de la rente pétrolière. En effet , les conditions du développement de nos avantages comparatifs et concurrentiels par rapport au marché extérieur procédaient de l’aléatoire et d’une planification des ordres de priorité du développement national sans rapport approprié et stratégiquement défini avec les terrifiantes pressions de l’environnement international économique et politique . Les avantages comparatifs et concurrentiels qui résistent au temps et aux emballements et aux complexités des marchés sont ceux qui découlent en premier lieu, pour un Etat nation comme le nôtre, du développement de nôtre génie national, c’est à dire de nos propres capacités  de travail, de production , d’innovation et de création .   Il ne peut être question ici de dévaloriser l’engagement exemplaire et le savoir-faire accumulé de la plupart de nos cadres , à tous les niveaux , et de nos travailleurs. Cependant la construction d’un système productif est vouée à l’échec si  le management général de ce dernier n’est pas en mesure d’en tirer, avec efficience , les gains nécessaires à sa reproduction , son développement et à sa modulation en fonction des évolutions des marchés intérieur et surtout extérieur. Le capital , c’est à dire la capacité financière d’investir , n’est qu’un des facteurs et non le plus déterminant du système productif . Le procès  technologique ,son choix approprié et sa maîtrise de même que les capacités globales et sectorielles de management forment avec le capital, dans leurs relations interactives, le système asservi de toute entreprise et de tout système productif, matériel ou intellectuel, dont dépendent les résultats finaux de production et d’occupation des segments de marché ciblés. Capital , procès technologique et capacités de management représentent de même que leurs interrelations des facteurs complexes ,exigeant pour demeurer productifs et attractifs pour le consommateur et le marché des mises à niveau adéquates permanentes. L’édification d’une base industrielle moderne est certes ,à nôtre époque , une nécessité de première importance. Cependant cette base industrielle ne peut gagner une viabilité durable et acquérir la capacité d’intégration économique et sociale requise que si elle est adaptée avec bonheur au système productif globale de la nation . Nous mesurons avec amertume aujourd’hui ce qu’il est advenu, par exemple,  des théories sur le transfert de technologie que nous ont rabâché, à coup de millions voire de milliards de dollars, les multinationales et les experts internationaux en  management et en économie et stratégies industrielles.

Cette période des vingt-cinq années après l’indépendance , a été aussi marquée , sur le plan politique , par un pouvoir autoritaire exercé par le président Boumédienne, chef d’état-major de l’ALN et chef de l’ANP. Un tel pouvoir , de par sa nature , a exclu pratiquement la politique , c’est à dire la pratique de l’exercice du pouvoir au sens large , du champ social et a voulu imposer administrativement , par la coercition , ses visions et ses pratiques politiques qu’il considérait comme nationalistes , révolutionnaires et sociales. Il n’est pas possible, dans le cadre de ces réflexions, de développer et d’analyser l’ensemble des axes qui ont été mis en oeuvre par un tel pouvoir. Il est peut-être utile de faire ressortir les points suivants qui jette une lumière de plus ,à notre sens , sur les racines de nôtre crise actuelle:

 

a) entre 1967 et 1987, la population active passe de 2.300.000 à environ 5 millions. La population active occupée, elle, passe de 1.700.000 à 4 millions soit une croissance annuelle de 7% sur vingt ans. Cette croissance s’est faite massivement dans les activités non agricoles, principalement l’industrie. La part de l’agriculture dans l’emploi était de 49% en 1969. Elle est passée à un peu moins de 26% en 1986.

 

b) L’industrialisation a accéléré l’exode rural commencé au lendemain de l’indépendance. Les jeunes en particulier, se sont dirigés massivement vers les nouvelles zones industrielles aspirant à la stabilité du salariat, aux services et commodités offerts par les grandes agglomérations. L’accroissement annuel des effectifs urbains était de 4,8% entre 1967 et 1987. Les centres urbains représentent en 1987 49% de la population contre 40,4 en 1977 et 19% en 1954.

Ainsi le constat ,lourd de conséquences qui s’impose , est que 90% de la population se pressent sur la bande côtière.

Pour „lutter“ contre les disparités régionales et éviter l’asphyxie de la bande côtière le pouvoir a successivement :

 

Ø  lancé la construction des  1000 villages dits socialistes

Ø  modifié, par deux fois le découpage administratif pour „rapprocher l’Etat du citoyen“ et mettre à sa disposition les services réclamés( banques, postes, centre de santé) ,

Ø  multiplié les liaisons routières et aériennes.

 

Le nombre d’agglomérations de plus de 20.000 habitants passe ainsi, durant la période , de 74 à 115, soit un accroissement de 41%, celui des agglomérations de plus de 100.000 habitants passe de 8 à 16 soit le double.

 

c) En 1987, 90% des enfants en âge scolaire sont scolarisés. Si en 1963-64, 1.039.435 enfants sont scolarisés dans l’enseignement primaire et moyen, c’est 4.500.000 qui le sont à la rentrée 1987-88 avec pour cette nouvelle année 700.000 nouveaux inscrits en première année de l’école fondamentale(9 ans de scolarité obligatoire et gratuite).

 

Les indications qui précèdent mettent en évidence l’immensité des réalisations et traduisent l’énormité des tâches à faire porter par l’Etat et par la nation . Ces réalisations colossales gardaient, tout de même, un caractère quantitatif et matériel. Elles ne pouvaient relever d’un développement sociétal intégré. Elles devaient, pour cela, être guidées d’une part par un Etat correspondant au caractère moderne de ces facteurs de développement que sont l’industrialisation , l’urbanisation ,la démocratisation de la formation etc. et d’autre part accompagnées par les facteurs politiques , sociaux et culturels qui forgent la citoyenneté et édifie la société civile .

 

B) NOTRE CRISE EST D’ABORD UNE CRISE DE L’ETAT ET DU SYTÈME DE POUVOIR

 

Faire face à de telles tâches de développement et de construction de l’Etat et de la nation, aussi complexes et gigantesques, impose de les aborder  avec une maîtrise  profonde des dynamiques lourdes du réel au niveau de la nation et de l’Etat et à l’échelle du monde. Il faut entendre par dynamiques lourdes du réel, ces lignes de forces, à caractère objectif, qui émergent au cours du développement historique des sociétés ,des nations et de l’humanité et qui marquent durablement, c’est à dire pour une période historique longue, l’évolution, au sens général. Ces dynamiques du réel sont en quelque sorte les réflexions de  l’histoire dans le  réel vécu et qui marquent et modulent ,à des niveaux divers ,notre action , notre mode de vie et de pensée. Elles ne peuvent être figées. Elles portent la forme que lui impriment les générations successives en fonction des facteurs sociaux,  culturels et de civilisation nouveaux qu’elles auront intégrés. De telles dynamiques se rapportent aux traditions et aux cultures historiques ,au système économique dominant et déterminant les rapports économiques , sociaux , voire internationaux. La prise en compte fine de telles dynamiques lourdes du réel en mouvement permet d’affiner les visions et les objectifs stratégiques et de leur donner une forme réaliste en mesure d’emporter une adhésion consciente des forces sociales et politique en présence . Le réalisme suppose la profondeur dans la maîtrise des évolutions historiques . Il exclut le volontarisme débridé et surtout l’aventurisme. Il permet la recherche et la mise forme des compromis qui font avancer évitent la stagnation et fortifient sans cesse le dynamisme de la nécessaire stabilité de l’Etat et de la nation .

La conception en termes d’objectifs stratégiques , la programmation dans le temps et dans l’espace , l’organisation économique, financière , technique, culturelle et sociale de telles tâches de développement imposent avec force l’édification de l’Etat démocratique moderne agissant comme catalyseur de la nation et mettant en mouvement toutes les forces et potentialités qu’elle recèle. Les objectifs stratégiques touchant l’avenir proche et lointain de toutes les composantes de la nation doivent être le résultat de la modulation des trois facteurs suivants : 

Ø  les valeurs historiques partagées et cristallisées par les profondeurs de l’histoire commune,

Ø  les données générales sur l’Etat et  la nation telles qu’elles se présentent dans le présent et

Ø  les impératifs qui découlent de la perception et de la maîtrise des dynamiques d`‘évolution nationales et internationales  touchant le moyen et le long terme.

Basées sur la rente pétrolière et soumises à elle ,  les dynamiques de développement engagées par le pouvoir en place depuis l’indépendance nationale obéissaient à une gestion hégémonique et bureaucratique. Un tel développement a rapidement engendré ses maladies infantiles que sont la corruption, le népotisme ,le clientélisme ,le régionalisme, la stagnation et la faillite économiques , sociales et culturelles etc. ....Un tel développement ne pouvait être fondé sur le travail et la création des richesses nationales par le développement démocratique du génie national. Une telle orientation du pouvoir et de l’Etat ne pouvait être à la source et à la base de la construction de l’Etat moderne , démocratique et républicain dont la nation avait et a  besoin pour son affermissement et son orientation vers des perspectives de progrès  et de modernité réels.

Les crises qu’a connues l’Algérie en 1962 , 1963 , 1965 , 1967 , 1980 , 1988 et 1991 ont été des jalons qui ont marqué le développement de la radicalité psychosociale et politique dans notre société face à la nature de l’Etat et du pouvoir en place qui ne portaient plus les aspirations de très larges couches sociales à plus de progrès et de justice sociale voire de modernité. Ces crises et leur aiguisement mettaient à jour les graves failles opérées dans le processus de formation et de consolidation de la nation et les dangers de liquéfaction et de dislocation qui la guettaient .

Cette radicalité qui s’est développée, en prenant des formes diverses, au cours de notre cheminement historique a été attisée par la profondeur et l’ampleur des problèmes économiques, sociaux , culturels et identitaire qui frappaient de plein fouet de larges secteurs sociaux et principalement la jeunesse qui constitue l’écrasante majorité du peuple.

Cette radicalité a été prise en charge , idéologisée et instrumentée par l’islamisme politique tout au long de son évolution . Une telle prise en charge a été grandement favorisée par les dynamiques portées par la tradition et la religion réduites à une compréhension superficielle et archaïque et que les générations du mouvement national et de l’après indépendance n’ont pas su moduler avec la puissance de leurs aspirations au progrès ,à la justice sociale et à la modernité.

Le système de pouvoir en place , guidé par son caractère autoritaire et administratif et par un populisme primaire de même que par les intérêts colossaux qui ont été construits au fil des décennies de l’indépendance , ne pouvait comprendre la portée politique profonde de cette radicalité et encore moins initier et s’inscrire avec conséquence dans un effort ,énergique et conséquent d’édification d’un vaste rassemblement national et démocratique capable de prendre en charge cette radicalité, de la soustraire à l’instrumentation de l’islamisme politique et d’orienter et d’organiser les énergies et les potentialités qu’elle porte en faveur de la résolution démocratique des problèmes posés.

Notre classe politique et nos élites balbutiantes n’ont pas reconnu aussi et ne pouvaient pas reconnaître toute la profondeur et l’étendue de cette radicalité .Elles ne possédaient et ne possèdent pas encore ,à de rares exceptions prés , une vision de l’exercice et de la pratique démocratiques sous-tendue par un dénominateur commun qui est celui de la perception de l’Etat National constructeur de la Nation algérienne moderne , démocratique ,entretenant avec fierté et intelligence ses racines et son identité propre .

La crise que vit l’Algérie depuis 1992 est la plus grave de son histoire post-indépendance. C’est essentiellement une  crise profonde de l’Etat et du système de pouvoir. Elle met sérieusement en danger la nation dans son existence même. C’est aussi une crise globale qui frappe la société dans ses ressorts de cohésion et de solidarité les plus profonds . C’est une crise qui porte en elle , par l’aiguisement des multiples contradictions de caractère complexe qu’elle active , au niveau politique, économiques, social ,culturel et identitaire , des transformations et des évolutions qu’il est bien difficile de prévoir ou de déterminer , tant que les rapports de forces ou les consensus autour de la nature du pouvoir et de l’Etat ne sont pas réalisés par un large rassemblement de forces sociales et politiques en mesure de les mettre en œuvre . De telles transformations et évolutions peuvent aller dans le sens du progrès, de la démocratie et de la modernité comme dans le sens du recul historique , de l’hégémonisme et de l’archaïsme. Mais nous n’avons d’autres voies ,pour rester fidèles à la nature libératrice de nos combats nationaux et pour faire face aux défis de la mondialisation , que d’agir pour intégrer , par nous-mêmes et avec bonheur, notre société dans le progrès, la démocratie et la modernité .

 

C)  DE LA NÉCESSITÉ DU DÉPASSEMENT DE CETTE CRISE

 

Vivre une crise aussi grave que  la nôtre impose aussi , malgré la dureté des épreuves vécues , de la considérer comme une chance historique et de prendre le recul nécessaire, de tirer les véritables leçons du passé et de tracer , dans l’union la plus large possible , les voies pour en sortir et construire un avenir meilleur.

Cette crise a métamorphosé notre société . Elle l’a mûrie dans de douloureuses épreuves individuelles et collectives. Elle l’a engagée progressivement dans des processus de mutations profondes à caractère historique et de nature sociale, économique , politique et culturelle . Ces mutations apparaissent , en particulier , au niveau des différents détachements de notre jeunesse. On les décèle aussi au  niveau de certains groupes sociaux des générations qui ont subi les affres de la colonisation , participé, sous des formes diverses, au mouvement national et à la guerre de libération nationale, se sont engagés dans la construction de l’Etat après l’indépendance et dans les dures et complexes batailles pour le développement économique , social, culturels , pour la démocratie , le progrès et la justice sociale  et qui essayent , aujourd’hui , de prendre du recul pour réfléchir sur notre évolution historique et de tirer les enseignements nécessaires . De telles mutations exigent  une analyse approfondie et multidisciplinaire . Nous voulons cependant avancer, à ce sujet , les quelques éléments de réflexion suivants :

 

1. DE QUELQUES RÉFLÉXIONS SUR LES MUTATIONS EN COURS DANS NOTRE SOCIÉTÉ

 

Les algériens qui forment actuellement les immenses bataillons de chômeurs , ceux qui sortent, aujourd’hui, avec leurs diplômes des universités  ou des instituts et centres de formation professionnelle en trouvant, devant eux des perspectives bloquées ou ceux qui animent le marché informel ,si florissant et combien destructeur , au service de magnats de la corruption et de la rapine ,  n’avaient pas, pour la plupart d’entre eux , plus de quinze ans en 1990 lorsque l’islamisme politique algérien et international a montré ses griffes meurtrières  en se lançant à l’assaut de la république pour la remplacer par une théocratie anachronique. Notre République était loin de présenter toutes les caractéristiques et tous les insignes d’une véritable république du fait d’une évolution historique particulière à notre pays , de facteurs lourds qui ont marqué le développement de notre mouvement national et du système de pouvoir autoritaire et populiste qui s’est imposé depuis l’indépendance. Pourtant cette jeunesse entre 15 et 35 ans qui fait presque 40 % de notre population et qui  représente, en principe , la colonne vertébrale de notre société , a été livrée à elle-même et s’est trouvée durement confrontée à une réalité nationale marquée :

Ø  par la barbarie sanguinaire du terrorisme islamiste , plongeant le pays dans l’insécurité et l’instabilité,

Ø  par l’idéologisation et la politisation de l’islam par des forces politiques obscurantistes et intégristes cherchant à bloquer tout élan ,particulièrement dans la jeunesse , vers la rationalité ,le progrès et la modernité ,

Ø  par le blocage continu d’un Etat et d’un système de pouvoir arrivées aux limites de leurs capacités face aux évolutions complexes des radicalités sociales et politiques de même que de l’environnement international transformé radicalement par la fin de la confrontation des blocs et par les dynamiques de la mondialisation néo-libérale,

Ø  par un système économique national bloqué, improductif ,  excessivement endetté , inadapté aux exigences et défis des besoins sociaux et des marchés en dépit des multiples actions de réformes et de restructurations ou des fortes injections financières de l’Etat visant la promotion de l’investissement privé local et étranger de même que la création d’entreprises dans les secteurs de l’industrie , de l’agriculture ou des services .

Ø  par une croissance insupportable du chômage , de la pauvreté et de la cherté de la vie  , de l’émigration massive des jeunes et des cadres nationaux , des pandémies , de l’économie informelle enfantant de véritables mafias et nourrissant la corruption à large échelle, etc. ,

Ø  par un isolement international du pays, très coûteux et humiliant, imposé par les nouvelles stratégies des pays développés dominants qui n’ont pas pardonné à l’Algérie son militantisme tiers-mondiste et sa politique révolutionnaire et qui cherchent à faire soumettre ce pays rebelle et à le faire rentrer dans les processus de recomposition  et de stabilisation géostratégiques envisagés pour la région du Sud de la Méditerranée. L’organisation délibérée d’un tel isolement est argumentée par   la gravité de l’insécurité et de l’instabilité dans le pays. Les causes de ses dernières sont mises sur le compte du pouvoir et singulièrement de son cerveau et de sa colonne vertébrale que sont l’ANP et les services qui s’y rattachent. Le « qui tue qui » claironné continuellement par toutes les catégories des médias lourds de ses pays et par leurs « experts » de service , entend légitimer , en quelque sorte , la barbarie terroriste de l’intégrisme islamiste , aggraver les processus de déstabilisation en accentuant les pressions sur les axes économiques ,sociaux ,culturels et des relations internationales.

Ø    par un bouillonnement sourd qui prend souvent des formes diverses et parfois aiguёs de confrontation autour des rapports sociaux , familiaux , culturelles et politiques . Un tel bouillonnement reflète les processus complexes qui travaillent en profondeur la société , qui posent , en termes nouveaux chez nous , la problématique de la liberté individuelle et collective et de la démocratie . Ces processus mus  et accélérés par la contradiction ( s’aiguisant avec le développement des facteurs de modernisation de nôtre pays ) entre d’un côté les aspirations de  couches sociales de plus en plus larges à la tolérance , à l’ouverture , à un mode de vie moderne et de l’autre côté la résistance des forces sociales et politiques encore fortement tirées par l’archaïsme et l’obscurantisme ou influencées par l’islamisme politique.

Ø  Par l’existence ,d’une part ,  d’une classe politique officielle ,en grande partie administrativement créée  , aux ordres et corrompue, sans rapport avec la réalité sociale ,  imposée et modulée, quant aux fonctions  revenant à ses différentes composantes,  au gré des conjonctures et de l’évolution des rapports de forces par le système de pouvoir en place et d’autre part d’une société civile et de diverses forces politiques démocratiques et de progrès social naissantes et faisant face à la fois à la violence de l’intégrisme islamiste et au blocage de leurs activités , de leurs initiatives unitaires , de leur élan visant la rencontre avec la société par les appareils répressifs du pouvoir.

Une telle évolution des réalités de notre pays ,brièvement décrites, ne peut qu’aiguiser les interrogations de même que les processus de maturation de notre jeunesse .Celle-ci, dans son écrasante majorité , n’a  pas , malgré le blocage multidimensionnel auquel elle devait et doit encore quotidiennement faire face , sombrer et n’a pas suivi les appels des intégristes islamistes et de leurs organisations, dissoutes , semi-légales ou légales , de recourir à l’islamisme , au terrorisme et à la violence pour se libérer de la situation  imposée par le système dirigeant. Bien au contraire , elle a su , avec ses moyens propres et surtout avec la force de l’expérience vécue , opposer à la barbarie du terrorisme islamiste une résistance multiforme , à la fois active et passive .Elle a su aussi  indiquer aux tenants du pouvoir qu’elle était en mesure de percevoir et de comprendre dans leurs profondeurs les problématiques que posait la crise qui ronge notre pays comme celles :

Ø  de la nature de l’Etat ,

Ø  de la liberté et de la démocratie ,

Ø  du développement économique et social dans un monde subissant les assauts d’une mondialisation débridée , de la culture qui fortifie les identités par le savoir et la science et les inscrit dans les mouvements du progrès et de l’universalité.

Elle a montré et montre toujours, de diverses manières, la force de ses aspirations à appartenir à  une Algérie qui donne ,dans la pratique , leurs sens profonds aux concepts de libération nationale ,de progrès , de justice sociale , de modernité et à la construction de laquelle elle veut contribuer avec toutes ses forces .Son patriotisme trouve, sans nul doute , ses racines dans l’œuvre colossale réalisée par le mouvement national algérien tout au long de son histoire séculaire et plus particulièrement par les générations qui ont enfanté le 1er Novembre 1954. Mais ce patriotisme, exprimé dans l’obscurité d’une crise historique qui ne finit pas et qui ravage la nation , est moderne parce qu’il est justement rattaché à la sauvegarde de la nation par la nécessité de refonder l’Etat dans un sens réellement républicain et démocratique.

Ces mutations ,ces aspirations et ce patriotisme de notre jeunesse n’ont pas encore trouvé les cadres et les formes d’organisations en mesure de les prendre en charge et de les faire peser dans les confrontations en cours . Mais ils se reflètent et prennent ,malgré les apparences , des contours divers dans le quotidien au niveau de rapports familiaux contrariés , du rapport au travail et des relations de travail  (dans les villes ou dans les campagnes) , des écoles et des universités. Ils se reflètent aussi dans la vie et l’expression culturelles , dans les activités sociales et civiques etc. Ils se trouvent cependant dans une phase de formation qui requiert une action vigoureuse ,claire dans ses objectifs et portée par une vision stratégique, des facteurs nécessaires à la consolidation et à l’élargissement de son affirmation et qui sont liés aux problématiques que pose notre crise. 

Notre jeunesse a  montré toutes les énergies et les potentialités qu’elle recèle dans les épreuves multiples vécues par notre peuple . Son engagement spontané et massif a été exemplaire lors des catastrophes naturelles provoquées par les inondations ou les séismes. Elle a signifié ,dans l’engagement , sa maturité et son  niveau de conscience par les actions politiques , sociales ou culturelles qu’elle initie :

 

Ø  pour le développement du mouvement associatif,

Ø  autour de l’exercice démocratique, des droits de l’homme ,du code de la famille ,de la liberté d’expression et des droits des journalistes , de la liberté et des droits syndicaux etc.

Ø   pour soutenir et s’engager dans des mouvements de masse à caractère démocratique comme en Kabylie ,   comme celui des journalistes ou comme  les grèves  des enseignants , des cheminots etc.

 

La jeunesse , dans toute  société ,veut forcer le temps parce qu’elle cherche son affirmation et rêve de son avenir. Elle ouvre ses yeux  et tous ses sens sur la vie, capte, avec toute son innocence et sa naïveté , les réalités en mouvement et cherche ,de manière différenciée, à les comprendre. Elle se rebelle tout naturellement contre les tares et les contradictions criardes  qui marquent le présent de même que le passé , proche ou lointain.

La jeunesse est le maillon le plus précieux qui assure, en la marquant de ses propres empreintes, la continuité ,voire la pérennité d’une société (ou d’une nation) . De la manière dont elle sera préparée ,dans la conscience et non dans la contrainte , à prendre le témoin , dépendra la réussite et la performance du relais de l’histoire.

Lorsque l’hégémonisme , le populisme et l’obscurantisme,  s’emparent du pouvoir ou  l’influencent, marginalisent la jeunesse ,  méprisent le potentiel d’énergie et d’intelligence qu’elle recèle , répriment ou  cherchent à instrumenter ses élans , c’est le retard historique qu’ils produisent. Ce dernier sera encore plus grave et durable si les forces sociales et politiques porteuses de la démocratie , du progrès et de la justice sociale ne renforcent pas leur unité d’action et leurs capacités de mobilisation pour  ouvrir à cette jeunesse des voies qui développent son expérience, aiguisent sa conscience et donnent un sens à son action pour forger son devenir.

Les algériennes et les algériens qui ont moins de 50 ans aujourd’hui, représentent plus de 80% de notre population. Ils n’ont connu directement ni les affres de la colonisation , ni les processus de formation et les luttes sévères du mouvement national , ni la guerre de libération nationale ,son héroïsme et  son impact sur l’évolution historique de notre pays . Ils sont  les purs produits de l’Algérie indépendante .Ils forment surtout la nouvelle société algérienne , une société qui porte les lourdes marques de la nature du pouvoir mis en place et des orientations qui ont présidé à la construction de l’ Etat et des choix de développement économique , social et culturel. C’est une société dominée par un système de pouvoir de nature autoritaire, désarticulée et sans perspectives, où ont émergé à la surface sous des formes et avec des intensités diverses , particulièrement au cours de ces quarante années d’indépendance, d’importants facteurs de déstabilisation tirant vers l’arrière , faute de pratique démocratique , d’orientations et de solutions adéquates. L’absence d’une prise en charge déterminée et unitaire de ces facteurs met sérieusement en danger la nation. De tels facteurs se rapportent notamment :

 

a)      à la nature de l’Etat et du système de pouvoir ainsi qu’à la place et à la fonction de l’ANP ,

b)       aux choix  du modèle de développement ,à la structure sociale et au rapports sociaux ,

c)      aux problèmes de la culture et de l’identité nationales ,

d)     au statut de la religion,

e)      au traitement de notre histoire

 

L’aiguisement objectif ou délibérément négatif de ces facteurs leur donne souvent des formes qui aggravent les tensions, déjà insupportables, et qui détournent des nécessités historiques pour dépasser et sortir valablement de notre crise , faire recouvrer à notre pays la stabilité dynamique et la sécurité dont il a tant besoin pour avancer. Les générations qui ont vécu l’oppression coloniale et surtout celles qui ont participé  à la guerre de libération   et à l’édification nationale après l’indépendance se réduisent en nombre de jour en jour. La plupart des femmes et des hommes qui les composent et qui n’ont pas fait un commerce de leur engagement, observent, avec des sentiments et des convictions contrariés , la nouvelle société algérienne qui  émerge . Les dures réalités de notre crise les mettent à  rude épreuve. Ils ne peuvent pas étouffer leur fierté d’avoir contribué à arracher l’indépendance et de vivre une Algérie, comme Etat et Nation , qui cherche sa voie et ses marques ,au gré de l’évolution historique tortueuse et des conjonctures complexes. Il ne peuvent aussi ne pas percevoir et comprendre la profondeur du fossé qui sépare les aspirations qui ont porté leur engagement révolutionnaire des réalités de l’Algérie d’aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux se sentent interpellés. Leur souffle patriotique et militant a été broyé ,au cours de ces décennies d’indépendance par les coups insidieux d’un système de pouvoir autoritaire , hégémonique et foncièrement populiste. Ils sont , à des degrés divers , préoccupés par  la situation précaire et par l’état de désorientation des générations de l’indépendance. Certains d’entre eux interviennent de plus en plus activement :

Ø  pour apporter leurs contributions à la clarification ,à l’écriture et surtout à la transmission de notre histoire moderne en donnant tout leurs sens aux concepts de patriotisme et de citoyenneté,

Ø  pour participer aux débats et aux luttes qui se développent autour de notre crise et des voies pour en sortir en refondant un Etat réellement républicain et démocratique,

Ø  pour tisser les indispensables jonctions avec les jeunes générations autour des valeurs qui renforcent la nation et l’identité nationale en les inscrivant dans le temps , qui fortifient la liberté et la conscience, qui développent et déploient la démocratie , qui multiplient et accélèrent le savoir et la science ,qui favorisent le progrès et font reculer l’archaïsme.

 

2. LA PROBLÈMATIQUE DU CHANGEMENT DU SYSTÈME DE POUVOIR

 

L’évolution historique de notre pays ,quelques soient les courbes qu’elle a ou qu’elle produit , est la nôtre .Elle est celle de notre passé et surtout celle  que produira notre réel en mouvement . Elle est celle de notre développement économique , social et culturel . Elle est celle de nos capacités à la comprendre , à la rendre intelligible et surtout à la transformer. Nous n’avons d’autre choix que de l’assumer , telle qu’elle est , avec ses points forts ,ses points faibles ou même ses points noires. L’assumer signifie d’abord reconnaître qu’elle relèvent de nous en tant qu’Etat et nation . C’est aussi être déterminé à la traiter ,à l’analyser de façon critique , à prendre tout le recul pour en tirer les enseignements qui s’imposent et à construire les voies qui permettent de repérer , en profondeur, les racines des faiblesses qui l’ont entachée , de corriger les orientations qui ont été à la source des crises vécues  et de tracer les voies pour aller de l’avant dans le sens ,de la démocratie , du progrès et de la justice sociale.

Une telle prise de conscience se forme , peu à peu , dans les différents secteurs de notre société au fur et à mesure du développement de la crise , de son aggravation et des blocages qui se dressent devant les efforts multiples pour en sortir . Cette prise de conscience s’ aiguise aussi  avec  l’expérience accumulée dans les formes d’exercice démocratique ouvertes après les événements d’octobre 1988 et la constitution de 1989 . Une telle expérience, malgré ses limites ,  fait percevoir aux forces politiques et sociales qui s’organisent et qui imposent leur existence par une légitimité sociale renouvelée sur le terrain des luttes , l’importance de la démocratie et de rapports démocratiques réelles pour sortir de notre crise et édifier notre pays avec un système social et de pouvoir démocratiques . Ces forces saisissent, de mieux en mieux, que la démocratie est une chance historique et qu’il faut être capables de favoriser positivement et avec réalisme les processus complexes de sa construction. 

Cependant, construire la démocratie, dans un pays comme le nôtre et dans notre situation actuelle, exige , de nous tous et surtout de ceux qui dirigent les institutions et les forces politiques et sociales véritablement nationales , une forte dose de réalisme patriotique. Ce dernier est imposé en nécessité par la gravité et la complexité de la crise et surtout par l’urgence de lui trouver des directions de solution . Le réalisme patriotique ne peut signifier ni le renoncement ni même la liquéfaction de ses convictions idéologiques , politiques ou sociales. Il est la condition d’engager les changements radicaux dans la nature et la forme de notre Etat et dans la nature et la forme de système de pouvoir devant conduire notre société . Or le changement ,même s’il doit être radical et il doit l’être dans notre situation , procède de la durée et de processus complexes d’ordre idéologiques , politiques , économiques, sociaux ,culturels etc.. Le changement , c’est le passage d’une situation donnée, jugée insatisfaisante ou dangereuse pour l’évolution ou la survie d’une nation , à une situation nouvelle, accrochée à l’ancienne, nécessitant, pour sa  mise en place et sa stabilisation , des accords reflétant les forces politiques et sociales engagées dans l’option du changement sur les éléments essentiels suivants :

a)      l’analyse de la situation dans le pays et des dynamiques lourdes internes et externes qui la déterminent,

b)      la vision qui fonde le changement voulu et les objectifs stratégiques de moyen et de court terme qui en découlent,

c)      les acteurs devant conduire le changement , c’est à dire les institutions et les forces politiques et sociales ,

d)     les formes d’organisation et de rapports devant présider aux différentes phases de la mise en place du changement.

Ainsi le réalisme patriotique constitue cette position, éminemment politique, qui inscrit ,au cours des phases de la construction du front démocratique du changement de même qu’au cours des étapes de réalisation du changement, l’ordre des priorités et des objectifs du groupe politique ou social auquel on appartient ou duquel on se considère le plus proche, en rapport étroit avec les facteurs qui promettent le rassemblement le plus large pour la sauvegarde et la consolidation d’une nation qui avance et qui rejette la stagnation et l’archaïsme. Le réalisme patriotique , c’est la capacité de défricher la complexité , de rendre plus claire pour le plus grand nombre,  son intelligibilité et de donner aux radicalités qui s’y manifestent un sens adéquat découlant de la maîtrise du réel en mouvement. C’est la force ,pour un pays comme le nôtre, qui permet d’asseoir la démocratie et de donner vie à une pratique démocratique productrice de progrès et de justice sociale.

Nous sommes arrivés à une étape où nous observons tout à la fois  les évolutions dangereuses de la crise , les mutations profondes qui se sont engagées au sein de notre société , l’émergence progressive d’une société civile et de formations politiques et sociales qui rejettent  l’instrumentation politique de la religion et le recours à la violence et au terrorisme et qui veulent agir pour la construction d’une Algérie démocratique , moderne et jalouse de ses insignes identitaires  . C’est une étape qui mûrit, plus  rapidement et plus largement qu’on ne le pense, la nécessité d’un changement radical au niveau de l’Etat et du système de pouvoir.

Engager les indispensables processus d’un tel changement exige une volonté politique déterminée et un sens aiguë des accords ou des compromis qui font avancer. Cette volonté doit être d’abord celle de ceux qui  impulsent et dirigent réellement le système du pouvoir et qui prennent conscience du caractère impératif de la nature et du contenu du changement à opérer. Elle doit être aussi celle de toutes les forces politiques et sociales qui entendent participer pour refonder l’Etat et lui donner un véritable caractère républicain et démocratique.

Initier le changement et persévérer dans sa réalisation ,en dépit des difficultés et des obstacles multiples , cela signifie aussi casser les tabous , vouloir et savoir communiquer, développer les échanges en respectant les positions de l’autre et être en mesure d’aboutir à des conclusions et à des décisions pour l’application desquelles on se considère engagé.

Vouloir refonder l’Etat , ne peut être , dans notre cas,  que se placer dans une perspective d’avenir ,c’est à dire celle du 21è siècle si nous voulons survivre avec ce que nous représentons comme histoire millénaire ,comme culture et surtout comme potentiels ,donc comme nation et société . Le siècle qui commence est  et sera marqué par des dynamiques d’évolution en même temps lourdes et accélérées , modulées par  une indescriptible explosion du savoir , des sciences et des techniques , mais surtout de la productivité et de l’organisation du travail réduisant le temps productif à en deçà du milliardième de seconde. C’est le siècle de la digitalisation sans frontières où tout risque ,si on n’y prend pas garde , d’être digitalisé  , le système productif  comme l’être humain , sa pensée et ses modes d’expression. C’est le siècle ,dit-on , de la globalisation. Celle-ci porte déjà fortement les marques et l’hégémonie coercitive d’un néo-libéralisme internationaliste et déchaîné recherchant le profit le plus fort et produisant, avec les arguments des avantages concurrentiels , de la flexibilité , du management moderne à l’américaine  , un développement planétaire à plusieurs vitesses générant la massification globale du chômage , de l’exclusion et de la déchéance sociales et culturelles de même que l’instabilité internationale voire le fondamentalisme ,l’intégrisme religieux et le terrorisme mondialisé . C’est le siècle de tous les combats pour éviter que l’humanité ne se déshumanise  en radicalisant l’individualisme pris en charge par une civilisation du chaos fondée sur le paradigme de la consommation. C’est dans ces combats , pour la libération  et le développement économique , social et culturel réels et pour la justice sociale, que notre pays doit retrouver une place véritablement productive au sein de ce large et irrésistible mouvement planétaire qui naît de partout et au sein de tous les peuples pour rejeter la globalisation néo-libérale sauvage , remettre l’Etat nation dans sa nécessité et ses perspectives historiques et construire, avec l’effort de tous, un monde multiculturel de paix et de progrès social .

C’est dire que les choix stratégiques et la plate-forme unitaire de refondation de notre Etat doivent procéder, dans leurs contenus , leurs formes et les moyens de leurs mise en oeuvre d’une telle volonté.

Mais pourquoi la perception de plus en plus consciente et approfondie, par de larges secteurs de notre peuple,  des problématiques majeures que pose notre crise ne trouve-t-elle pas , sur le terrain,  une traduction pratique en mesure d’enclencher les processus du changement radical de système de pouvoir dont notre société a besoin? Cela est lié à de nombreux facteurs parmi lesquels les trois suivants :

 

a)      l’absence d’une analyse fine et largement partagée sur la nature de l’Etat mis en place depuis l’indépendance et de la place et du rôle que joue l’ANP dans le système et l’exercice du pouvoir,

b)      l’émergence difficile , à cause du système de pouvoir en place , d’une classe politique et d’une société civile réellement démocratique légitimées par de larges secteurs de la société,

c)      le statut de la religion et le traitement de l’histoire .

 

Ces trois éléments soulignent la nécessité et les contours de la phase de transition par laquelle nous devons impérativement passer pour aller vers le changement de système de pouvoir ciblé. La phase de transition est partie intégrante des processus engageant le changement et doit procéder de la vision fondamentale qui le porte .

 

3. LA QUESTION DE LA TRANSITION

 

La constitution adoptée le 26 janvier 1989 aurait pu marqué  le début d’une phase de transition vers un système de pouvoir et un Etat démocratiques si les deux points décisifs suivants y avaient trouvé un traitement clair  tant au niveau du contenu que des modalités législatives et exécutives de leurs mises en oeuvre :

 

a)      La question des pouvoirs , de leur séparation et de leur transparence ainsi que la place et rôle de l’ANP en liaison avec le rôle historique qu’elle a joué et joue encore dans l’édification de notre jeune Etat indépendant,

b)      Le statut de la religion et la position à l’égard de son instrumentation idéologique et  politique.

 

Cette constitution de même que celle qui l’a suivi ne pouvaient  du fait du blocage entretenu par le système du pouvoir  sur ces deux points ,engager l’Algérie dans des dynamiques d’une véritable pratique démocratique , vivante, productive et efficiente . L’exercice réel du pouvoir a gardé son caractère non transparent . La hiérarchie supérieure de l’ANP a continué et continue d’être considérée comme le centre véritable du pouvoir.

L’expérience amère  que nous vivons depuis plus d’une décennie a mis clairement en évidence que L’ANP et l’ islamisme politique sont ,à des niveaux qualitatifs différents , deux  facteurs importants et même décisifs de notre crise  . Ces deux facteurs  ne sont en aucun cas comparables et surtout ils ne sont pas les seuls.

 

3.1 : L’ARMÉE NATIONALE POPULAIRE ET LE POUVOIR

 

Les faits historiques montrent que notre mouvement national, au fil des étapes qui ont préparé et conduit la guerre de libération nationale, n’a pas su définir et surtout imprimer dans la réalité, et de façon créatrice , les justes rapports démocratiques  entre le politique et le militaire et donnant la primauté au politique. Le congrès de la Soummam  et la plate-forme qu’il a adopté ont essayé ,sous l’impulsion d’Abane Ramdane en particulier, de définir de tels rapports , en procédant de la vision consistant à édifier, y compris dans les processus difficiles de la lutte révolutionnaire,  la nature républicaine ,démocratique et sociale du futur Etat algérien indépendant.

La politisation de l’ANP et son rapport avec l’exercice du pouvoir réel relèvent d’un processus historique complexe. Celui-ci est étroitement lié aux processus qui ont marqué notre mouvement de libération national et notre guerre de libération nationale. Il se rattache aussi  aux dynamiques qui ont concouru à l’émergence de notre jeune Etat , à son édification compliquée dans un monde qui a été dominé par la guerre froide et l’action de deux systèmes sociaux mondiaux antagoniques et qui est aujourd’hui sous l’influence pesante  et à potentialités dangereuses d’une mondialisation chaotique initiée par le néo-libéralisme  .  Il est à mettre en outre en rapport avec la naissance difficile et continuellement réprimée de réelles forces politiques et sociales démocratiques de même que d’une réelle société civile.

Il ne nous est pas possible , dans le cadre de cette réflexion , de procéder à une analyse des étapes marquantes , à signification politique , qui ont jalonné l’histoire de l’ANP et son rapport au pouvoir . Mais on peut affirmé que l’histoire de l’action politique de l’ANP ne peut être détachée de celle de l’ensemble de la société . Aucune armée dans le monde moderne ,si elle veut remplir la fonction qui lui est impartie par l’Etat ,  ne peut se désintéresser de tous les aspects économiques ,sociaux , culturels et politiques qui touchent aux objectifs stratégiques de défense nationale. Mais cela ne peut vouloir dire que l’ANP n’a assumé depuis l’indépendance que sa mission de défense nationale .

L’ANP est certes une institution  de l’Etat algérien . Elle a une mission de défense nationale qu’elle assume au sens profond et large du terme. Elle est essentiellement formée de recrues du service national qui lui confèrent son essence populaire C’est une armée qui essaie continuellement de se moderniser et d’être à la hauteur des défis qui touchent de prés ou de loin sa mission fondamentale  . Elle a les faiblesses d’un corps régi par une organisation pyramidale mue par la philosophie de la discipline militaire telle que comprise et appliquée par la hiérarchie aux différents niveaux. Elle a les faiblesses d’un corps  ayant la force des armes et pouvant être doté d’un pouvoir de coercition, c’est à dire des faiblesses inhérentes à l’autoritarisme et à l’exercice ou à l’influence du pouvoir , aux passe-droits ,à la corruption au népotisme ,au régionalisme etc. .Elle a les faiblesses découlant de visions nationalistes étroites ou d’une certaine perception de l’exercice démocratique et de la modernité qu’ont pu et que peuvent  encore avoir certains de ses chefs. L’efficacité et l’efficience de l’ANP ,la courbe de son engagement révolutionnaire et patriotique ont toujours été fonction de la personnalité , de la compétence et de l’engagement de son chef réel , c’est à dire du chef d’état-major .

L’ANP est intervenu avec toutes ses forces sur le champ politique à chaque fois que la stabilité de notre jeune Etat en construction et de notre société semblaient, à sa hiérarchie, sérieusement menacée alors que cela reflétait un aiguisement des luttes politiques et sociales posant la problématique de la démocratie et celle de la nature du système de pouvoir . C’était le cas en 1962 , 1963 ,1965 , 1967 ,1980 , 1988, 1991 . De telles interventions de l’ANP devenaient possibles du fait de l’absence de mécanismes démocratiques de l’exercice du pouvoir animés par des forces politiques et sociales démocratiques dont l’émergence a été étouffée par l’hégémonisme , le populisme et la démagogie qui ont caractérisé l’évolution du système de pouvoir , du parti unique et de leurs appareils .

L’ANP a été et est dans les faits ,de par notre évolution historique , la véritable source et le centre réel du pouvoir. Le reconnaître aujourd’hui, exprimerait déjà une volonté d’en faire , sans tabou , un sujet important de débat pour sortir de la crise et pour engager les processus du changement démocratique dont il a été question plus haut, tout en intégrant ce que l’expérience collective durement accumulée aura fait ressortir d’impératifs pour la cohésion de la Nation et la stabilité du pays.

 

L’ANP , héritière de l’ALN , dispose en effet :

 

Ø  d’un fort potentiel patriotique et  d’élites éclairées ,

Ø  d’un important capital expérience accumulé en fonctionnant comme le cerveau et la colonne vertébrale de notre société,  au cours des phases complexes d’édification de l’Etat, du développement économique , social et culturel et de défense nationale ,

Ø  de l’accumulation d’une longue expérience dans l’édification de l’État et du développement en général ainsi que des riches leçons tirées de son engagement dans les différentes crises qui ont secoué dangereusement le pays .

 

L’ANP doit cependant ,et elle en est certainement consciente , faire face  pour le court , le moyen et le long terme aux impératifs que lui imposent sa nécessaire modernisation pour être à la hauteur des défis , des alliances et des intégrations régionales et internationales que lui dessinent les dynamiques géostratégiques et militaires du 21é siècle. De tels impératifs supposent , de sa part , une perception nouvelle ,adaptée aux évolutions et aux exigences du temps , du concept de défense nationale , de la nature et de la forme de l’Etat.

La transition pour refonder l’Etat et lui imprimer un réel caractère républicain , démocratique et moderne passe par une adaptation créatrice correspondante de la place et du rôle politique de l’ANP .Cette place et ce rôle doivent lui permettre d’assumer sa mission fondamentale et   d’intervenir dans des structures démocratiques et constitutionnelles à mettre en place pour  :

 

Ø   favoriser les processus d’édification des trois pouvoirs  et contribuer à assurer la transparence de leur exercice ,

Ø   soutenir l’émergence et la consolidation d’une véritable classe politique démocratique et d’une réelle société civile,

Ø   contribuer à prévenir les crises mettant en danger la stabilité du pays et la cohésion de la nation.

 

Il s’agit donc pour les forces patriotiques et démocratiques qui veulent construire des voies de sortie de la crise  , qui entendent réussir la conception du changement et être en mesure d’engager les processus de sa réalisation , de trouver , avec l’ANP , des formes démocratiques et constitutionnelles transitoires définissant sa place et son rôle.

 

3.2 L’INSTRUMENTATION IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE DE L’ISLAM ET LE STATUT DE LA RELIGION

 

L’instrumentation idéologique et politique active de l’islam à des fins de prise du pouvoir et d’instauration d’un État théocratique dans notre pays a commencé depuis les années 1970. Elle a cristallisé  la crise qui secouait notre société depuis l’indépendance. Elle lui a donné un sens et des formes qui tirent vers le recul historique et qui sont ,de ce fait, extrêmement dangereux. Une telle instrumentation relève déjà , il faut le constater , de la durée. Elle doit être saisie dans toutes ses implications et surtout dans son rapport à l’évolution et à l’avenir moderne de notre société et de la nature de son État donc au politique  compris dans son sens profond .

Le mouvement d’idéologisation et de politisation de l’islam, développé à l’échelle mondiale au début des années 1970, était impulsé , soutenu  et financé , sur recommandation de la « trilatérale » ,par les USA et  l’Arabie Saoudite en particulier . Il était conçu comme une opération de reislamisation pour  barrer la route  aux mouvements d’émancipation ,de progrès social et de modernité de pays dont l’islam est la religion de l’écrasante majorité et qui sont considérés sous influence soviétique et marxiste .

L’islamisme politique ne peut être considéré comme la pratique religieuse de l’islam .La véritable pratique religieuse relève , elle , avant tout de la foi du croyant ,qui  est seul redevable devant son créateur . L’islamisme politique est une stratégie sectaire de prise du pouvoir élaborée et mise en oeuvre dans le contexte d’une crise aiguë de civilisation du monde arabe et musulman , du rapport de l’islam à l’État et de l’incapacité manifeste   de réponses adéquates aux problèmes  posés  par les évolutions des sociétés et par la portée de l’influence du modèle de civilisation occidentale . C’est une idéologisation dogmatique de l’islam poussant, au bout du compte, au fondamentalisme ,à l’intégrisme et au terrorisme et à leur internationalisation.

L’islamisme politique en Algérie a , comme par hasard,  commencé lui aussi à se manifester et à s’organiser à grande échelle au début des années 70 en s’attaquant ,sous le prétexte de l’authenticité et de la préservation de l’identité nationale , par exemple :

q  à l’émancipation de la femme ,à son insertion dans les différents secteurs du travail productif ,

q  à l’édification d’une école nationale moderne ouverte sur les sciences et les acquits de la culture universelle enseignant les langues étrangères et fondée sur la rationalité,

q  aux forces politiques et sociales qui se réclamaient d’une vision moderne de l’édification de l’Etat et de la consolidation de la cohésion de la Nation et de développement de la société .

L’islamisme politique en Algérie s’exclut lui-même de tout processus  démocratique . Dans sa compréhension de la politique et des préceptes de l’islam , la démocratie n’est qu’apostasie. C’est ce qu’avait affirmé et affirme toujours , avec une  forte conviction , Ali Belhadj , l’un de ses chefs les plus en vue. Les tenants de l’islamisme politique ne connaissent que le recours à l’argument de la violence et surtout armée et terroriste. Ils avaient organisé des maquis déjà au cours de la deuxième moitié des années 80, pour lutter contre le pouvoir et les citoyens considérés comme impies. Ils ont  été défaits , alors , grâce justement à une action vigoureuse et responsable de l’ANP . Certaines forces du pouvoir  avaient tenté ,à l’époque, de mobiliser et d’ instrumenter les groupes islamistes pour les opposer aux organisations dites laïques et au mouvement culturel berbère. Les islamistes ont été activement encouragés , au regard des potentialités d’évolution démocratique que recelaient les événements du 5 octobre 1988 , à dévoyer le désarroi  et la fougue des jeunes en canalisant leur mouvement avec des slogans creux comme « l’Islam est la solution » .

L’ouverture « démocratique » initiée par la constitution du 23 janvier 1989 et le décret portant création d’association à caractère politique ne permettaient pas la légalisation d’organisation politique  instrumentant la religion  .Le front islamique du salut a été cependant légalisé par calculs politiciens pour la sauvegarde du système de pouvoir . Le FIS , pouvait-on  ne pas s’y attendre , n’a pas et ne pouvait pas , faute de se renier , joué le jeu démocratique. Il se considérait investi de la volonté de Dieu pour instaurer un Etat théocratique fondé sur  la Charia  . Il n’a jamais renoncé au recours à la violence et au terrorisme ,comme peuvent l’attester ,à la fin des années 80,  plusieurs actes commis de Ouargla à Guemmar en passant par Blida ou Staoueli . Il a poursuivi la consolidation et le renforcement de ses organisations subversives et de sa logistique paramilitaires. Qu’a-t-il fait de son soit-disant succès aux élections communales de  1990 ? Il a essayé de transformer les communes conquises aux élections municipales en municipalités non régies par le code communal mais en municipalités islamiques régies par un code islamique existant seulement dans les têtes des dirigeants islamistes . Ces communes ont été utilisées comme des points d’appui à des actions d’envergure servant les intérêts du FIS comme par exemple l’utilisation des biens de l’État à des fins partisanes , le  détournement de fonds , le détournement ou la falsification de listes électorales ou de cartes d’électeurs etc. .

Le constat est établi aujourd’hui que les élections communales de 1990 et les élections législatives de 1991 ne procédaient pas réellement d’une démarche sincère visant  à ancrer la démocratie dans notre pays . L’action violente des islamistes instrumentant la croyance religieuse et les radicalités psychosociales et politiques de larges secteurs de nos masses populaires a pris les formes les plus dangereuses en 1991 avec l’organisation d’actions  insurrectionnelles, défiant , non sans certains succès, l’autorité de l’État  .Cela constituait un véritable danger pour l’avenir véritablement démocratique de l’Algérie . Fallait-il alors accepter comme relevant d’un processus démocratique réel les résultats issus d’ élections faussées au départ par les deux principaux intervenants : le pouvoir en place et le mouvement islamiste représenté par le FIS qui jurait qu’il allait , une fois le pouvoir pris,  imposer l’Etat islamiste. Fallait-il ,comme l’a suggéré  un sociologue algérien professant en France, « attendre que le FIS , une fois aux commandes , se révèle incapable de diriger l’Etat » ? L’ANP  et d’autres dirigeants et forces politiques et sociales ont pris la responsabilité historique, en essayant d’agir dans les cadres fixés par la constitution en vigueur, d’interrompre le faux processus électoral et d’épargner ainsi au pays et au peuple algérien les affres d’un régime théocratique fondamentaliste . L’histoire et le peuple algérien jugeront de la validité historique d’une telle décision . Ils ont sans aucun doute déjà jugé. Ils ont rejeté massivement et au prix d’immenses et douloureux sacrifices le recours à la violence armée et au terrorisme islamiste . Ils ont vécu quotidiennement la réalité du FIS et de l’islamisme politique dans les massacres et les dévastations barbares de biens publics et privés ,dans les assassinats d’intellectuels ,de journalistes ,de femmes et même d’enfants . Notre jeunesse ,nos travailleurs , nos couches moyennes , nos cadres et nos intellectuels ont voulu reprendre confiance et se mobiliser avec feu le Président Boudiaf .Celui-ci  avait su ,très rapidement redonner espoir et dégager une vision et une démarche pour refonder un Etat démocratique et républicain. Il voulait engager le pays vers le développement global et le progrès social par le travail et la mobilisation efficiente de notre génie national et par la pratique démocratique . Son assassinat a mis de nouveau notre peuple face à la réalité du terrorisme islamiste et d’un système de pouvoir qui ne voulait pas comprendre qu’il était arrivé à ses limites  .

Ainsi l’instrumentation idéologique et politique de l’islam chez nous  a été rendue possible par la nature du système de pouvoir en place même si celui-ci a dû s’opposer à la violence de l’islamisme et à sa prétention à renverser l’ordre républicain établi au lendemain de l’indépendance. Le système de pouvoir était dans l’incapacité de par sa nature et de ses intérêts étroits à prendre rigoureusement compte de l’évolution de la société , de ses aspirations profondes , des radicalités et des mutations qui y prenaient formes et d’engager les indispensables réformes en mesure de faire avancer sa modernisation et sa sécularisation , de développer son identité tout en donnant toute sa place  à la religion et à la pratique religieuse mais en la soustrayant, par le développement économique , social et culturel  à l’archaïsme et aux dangers qu’engendre l’islamisme politique.

L’islam et la culture arabo –musulmane constituent un patrimoine historique du peuple algérien .Ils ne peuvent être revendiqués par une organisation politique islamiste. Il n’ y a pas de clergé en islam. Le statut de la religion doit être en accord avec  l’État de droit et favoriser le développement de ce dernier . Un tel rapport de la religion à l’État doit trouver sa claire traduction dans la  nouvelle constitution. C’est le défi que doivent relever nos États et nos forces politiques et sociales patriotiques   s’ils ont la volonté de mener avec succès nos sociétés et nos nations dans les véritables challenges  économiques ,sociaux et culturels du 21e siècle et mettre en échec l’internationale islamiste qui entend dévoyer l’islam , internationaliser le terrorisme et imposer l’archaïsme islamiste .

 

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