dimanche 31 mai 2009

FAUT-IL RÉFORMER OU REFONDER

24.08.01

 

FAUT-IL RÉFORMER OU REFONDER

 DANS NOTRE PAYS ?

 

Par Mahi Ahmed

 

L’utilisation des concepts dans les domaines qui touchent le présent ou l’avenir d’une société ,d’une nation , est toujours chose délicate . Les concepts , dans ce domaine précis , doivent correspondre , en principe , à une réalité donnée , de surcroît complexe et dynamique . L’acception donné à un concept acquiert , de ce fait , une fonction d’orientation qui , si elle s’empare des consciences peut marquer durablement le mouvement de l’histoire . Cela est particulièrement sensible en situation de crise profonde comme celle que vit notre pays depuis plus d’une décennie pour ne pas dire depuis l’indépendance . C’est le cas du concept de « réforme » qui est dangereusement malmené et galvaudé , en ces temps difficiles ,où l’attente de sortie de crise , de règlements des problèmes économiques , sociaux ,culturels , identitaires et politiques est très forte. Le terme « réforme » a été utilisé , dans notre pays particulièrement depuis la décennie quatre-vingts, avec une consonance souvent opportuniste , voire démagogique , chaque fois que l’aiguisement de la crise de l’État et les limites des orientations qui ont présidé à nos choix de développement depuis l’indépendance nationale faisaient apparaître une réelle menace pour la survie du système en place . L’acception donnée au concept réforme signifiait pour ses initiateurs plutôt l’engagement de processus de replâtrage , de greffe  au niveau des domaines considérés comme les plus sensibles . les réformes dites constitutionnelles , administratives , économiques , financières opérées au cours de la décennie 80 et au-delà , n’ont pas mis en œuvre des dynamiques de solutions radicales , c’est à dire à la racine du mal , des problèmes existants . Elles n’ont pas mis la société dans un mouvement d’organisation démocratique fondée sur des valeurs comme la liberté ,la justice , la justice sociale , la solidarité ,un mouvement capable de donner à la catégorie travail sa signification profonde de création de richesses matérielles , intellectuelles et même spirituelles et de combattre les fléaux que sont l’analphabétisme , le chômage,  la pauvreté , la corruption , le népotisme ,le clientélisme ,le régionalisme etc . Bien au contraire , même si les réformes engagées ont pu apporter quelques améliorations sectorielles rapidement rendue inopérantes du fait qu’elles ne touchaient pas la racine du mal , n’ont pu empêcher le pays de sombrer dans la crise la plus grave de son histoire post-indépendance .

Or l’acception la plus appropriée du concept  « réforme » serait la mise en mouvement de processus tendant à améliorer les situations ,à les adapter aux évolutions , à les porter vers l’avenir et à dépasser ainsi les problèmes et les difficultés repérés . De tels processus devraient découler d’une maîtrise approfondie et d’une appréciation objective de la réalité globale de la société algérienne et des réalités sectorielles en même temps que d’une vision cohérente , partagée démocratiquement , du développement futur du pays . Mais le caractère hégémonique et populiste du pouvoir du parti  et de la « pensée » uniques ( qui n’a pris que de nouvelles formes depuis la constitution du 23 février 1989 et l’instauration du soit-disant multipartisme ) ne pouvait être en mesure de procéder à une telle maîtrise et à une telle appréciation objective de la situation du pays. Cela aurait signifier la reconnaissance de sa faillite et la nécessité de son dépassement par un exercice réel de la démocratie . Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui , que la crise multidimensionnelle que nous vivons au plus profond de notre chair et de notre sang ,qui détraque nos cerveaux et nos intelligences , qui affaiblit et disperse nos capacités et nos possibilités de production et de création , qui met sérieusement en danger notre existence en tant qu’État et nation , est fondamentalement une crise de l’État . Ce constat , s’il est juste ,  mérite d’être approfondi et précisé au niveau de ses déterminants . L’État algérien ,diront certains , en tant qu’institution qui détient le monopole de la violence légitime sur un territoire dûment circonscrit et sur un peuple reconnu selon la définition qu’en a donné Max Weber ,a résisté aux évolutions et pu assurer sa sauvegarde et son caractère républicain et populaire . Mais si on veut retenir la définition de Max Weber de l’État , l’utilisation de l’adjectif « légitime » pose la problématique de la consécration par le droit ,c’est à dire de l’organe législatif , c’est à dire ,dans une république , de la représentation parlementaire ou de la démocratie dans son contenu et sa pratique. Nous touchons ici au déterminant , selon nous essentiel , de la crise de notre État qui est l’exercice démocratique . Il y a eu , chez nous ,au départ ,un dévoiement délibéré de l’édification démocratique de l’État et de la pratique démocratique .

Au lendemain de l’indépendance , l’Algérie comptait 10 millions d’habitants. C’était une terre marquée par huit années d‘une guerre totale. C’était une société désarticulée géographiquement et structurellement .C’était un pays dont l’organisation étatique hybride reposait sur le fond d’organisation étatique colonial et sur la superstructure politico-militaire du FLN-ALN et du GPRA reflétant le rapport de forces dominant. Une nation algérienne qui venait de sortir des ténèbres avec d’immenses espérances ,avaient besoin ,dans une telle situation , de l’édification d’un Etat moderne fort et d’un pouvoir visionnaire s’appuyant sur tous les ressorts vivants et porteurs de progrès de la société et requérant sans cesse leur légitimation. L’Etat moderne est la personnification de la nation dont il assure les évolutions intégrantes , tirées par la rationalité,  l’universalité,  la modernité et le progrès.

Les tenants du pouvoir, après l’indépendance ,en pratiquant un hégémonisme populiste sans bornes semblent avoir confondu l’édification de l’État national adapté aux conditions de l’époque et à leurs dynamiques d’évolution avec l’édification d’une administration nationale au service de leur logique de quadrillage autoritaire et répressif de la société.

La mise en place de l’Etat algérien indépendant s’est largement et longuement appuyée sur les structures léguées par le colonialisme. Elle s’est inspirée , par nécessité ,par urgence ou par commodité , du modèle français  en ce qui concerne les structures et certains fondements législatifs. Une telle mise en place ne pouvait , de ce fait , procéder d’une volonté de rupture radicale avec les symboliques et les représentations archaïques ambiantes. Elle ne pouvait procéder d’une dynamique d’intégration nationale et de fécondation culturelle portées par une identité ouverte sur la rationalité ,la science ,la modernité et traversant toute la société.

La modernisation d’une société par son Etat ne peut être qu’un processus , certes complexe et long ,délibéré et conséquent découlant d’une vision et d’un sens des perspectives historiques modernes du pays. Un tel processus ne peut être initié et conduit dans son cheminement que par de véritables bâtisseurs d’Etat légitimés en permanence par une pratique réelle de la démocratie. La symbolique de la modernisation a été manipulée dans nôtre pays. Une démarche conséquente de construction de l’Etat moderne dont avait besoin un pays comme le nôtre aurait supposé , par exemple , une prise en main appropriée ,  reposant sur des orientations de progrès et de modernités , des solutions de questions aussi sensibles et déterminantes que celles touchant au système éducatif , à la langue ( et aux langues) , à la culture et à la religion.

L’édification de l’Etat est intimement liée à la validation de la nation et à sa projection dans les champs de ses perspectives historiques en agissant sur les facteurs objectifs et subjectifs que véhicule le passé et en définissant et mettant en oeuvre un nouveau contenu  idéologique modulant favorablement les valeurs dominantes dans le sens de la rationalité ,du progrès ,de la justice sociale ,de la solidarité et de la modernité. C’est ainsi que se modulent ,se créent et se forgent l’identité nationale , les repères et les symboliques de progrès.

Une telle démarche doit reposer sur des politiques économiques, d’éducation et culturelles qui valorisent le travail,  rationalisent et sécularisent les rapports sociaux.

C’est ainsi que l’Etat , par l’action visionnaire du pouvoir qui le dirige , l’anime et le module , construit la nation , met en mouvement les flux objectifs et subjectifs qui doivent l’irriguer pour lui donner la vie ,forger son identité ,assurer son avancée dans le sens des perspectives historiques tout en veillant à assurer sa stabilité.

 Les faits montrent , à l’évidence que l’Etat algérien actuel est le produit de démarches hétérogènes . Celles-ci portent la marque d’un volontarisme livrant les ressorts essentiels du développement de l’Etat , de la nation et de la société aux impératifs de l’exercice du pouvoir et des équilibres opportunistes qui assurent sa pérennité .

Depuis 1999 nous assistons à une démarche persévérante consistant , sur la base de la conscience que l’État connaît une crise profonde ,à mettre en place des commissions chargée de réfléchir et de faire des propositions sur les réformes les plus appropriées à apporter à l’État , aux secteurs de l’économie , de la justice , de l’éducation . Ces commissions ont sans aucun doute travaillé dur et élaboré des rapports volumineux et certes de qualité . Mais qu’observe-t-on dans le réel qui ronge notre société ? .À peine le contenu du rapport de la commission sur le système éducatif connu ,un mouvement de forces conservatrices réclame son gel en mettant en avant le mot d’ordre de « l’école authentique » .Et le rapport est ,de fait , gelé par le pouvoir alors que tout le monde est conscient que le système éducatif est sinistré dans nôtre pays. La raison de cette situation est liée à la non existence d’une organisation fondamentalement démocratique de la société et de l’État et reposant sur une loi fondamentale portée par une vision concrète du progrès ,de la justice sociale et de la modernité ,c’est à dire une vision qui tire la société vers l’avant et non vers l’arrière .

Il en est de même des réformes économiques .Le bilan dans ce domaine est très alarmant .Il n’est pas besoin de donner ici des chiffres à ce sujet . Voilà plus de deux décennies que plusieurs formules de réformes ont été expérimentées aggravant encore plus l’efficacité de notre économie .L’efficacité et l’efficience d’une économie sont intimement liées à l’efficacité et l’efficience et à la maîtrise de leurs environnements intérieurs et extérieurs ,c’est à dire ,en particulier , à l’État .

Le mal est donc à la racine . La thérapie ,dans cette situation , ne peut être que de choc . La nécessité est impérative de dépasser la démarche des réformes partielles ou sectorielles et de s’orienter vers la création des conditions démocratiques pour refonder un État républicain , démocratique et moderne .  Refonder l’État républicain ,c’est le reconstruire sur la base des valeurs nouvelles  de la liberté ,de la démocratie ,du progrès ,de la justice sociale ,de la solidarité et de la modernité qui assurent à notre jeunesse ( qui fait notre peuple ) et aux générations futures de porter notre nation ,par le travail et le savoir , vers un  avenir toujours plus radieux .Refonder l’État républicain , c’est exprimer une volonté organisée de combattre l’archaïsme et l’utilisation de la religion de notre peuple à des fins politiques , c’est donc prendre la mesure de notre époque et surtout de celle qui attend les générations futures .  

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